de SI BEAU, SI FRAGILE

LOST IN VERSAILLES

Un film atypique nous demande d’imaginer une jeune femme inquiète. En un sens, certes superficiel, cela n’a rien de difficile : extérieurement, cette jeune femme est séduisante et a tendance à attirer le regard des artistes. Tout juste sortie de l’adolescence, elle est blonde et, sans être une beauté classique, plutôt jolie – sa lèvre inférieure laisse un peu à désirer – et elle est dotée d’une indéniable grâce qui impressionne étrangement tous ceux qui la croisent, jusqu’aux parfaits inconnus. Cette réaction, tout à la fois esthétique et émotionnelle, tient peut-être au fait qu’au moment où son histoire débute, elle est visiblement perdue dans ce territoire périlleux qui sépare l’adolescence de la pleine maturité. Une fois devenue femme, et alors que nous savons déjà comment se termine son histoire, elle continue pourtant d’éveiller chez l’observateur des sentiments auxquels se mêle un certain élan protecteur.

Sa vie intérieure est plus compliquée. Bien qu’issue de la classe dominante et habituée à vivre dans un milieu aisé et convenu, cette jeune femme traverse une crise de transformation. Enlevée et emmenée loin du cadre rassurant de son pays, elle est immergée dans un monde étrange et inexplicable – pour elle, du moins : rigide, hiératique, gouverné par d’obscures conventions de langage et de comportement, qu’elle trouve, comme le spectateur, difficiles, voire impossibles à déchiffrer. (Entre autres éléments déroutants, on parle dans cet endroit une autre langue que la sienne.) Peut-être plus grave encore, cette jeune femme, qui malgré son jeune âge, est mariée, a déjà compris que son couple est mal parti, voire irrécupérable ; il apparaît en effet que son mari se passionne essentiellement pour des gadgets mécaniques compliqués qu’il se délecte à bricoler. Elle réagit à tout cela par des actes de rébellion bien compréhensibles, quoique légèrement adolescents : des mines boudeuses, des escapades aventureuses, des virées nocturnes étourdissantes, des flirts plus ou moins innocents. On nous présente ces excès et ces expériences comme de simples moyens pour cette jeune femme de trouver sa véritable identité. À aucun moment le film ne remet en cause la sympathie et l’affection qu’elle peut nous inspirer.

Ce qui précède est une description relativement fidèle du film de 2003 de Sofia Coppola, Lost in Translation, un film d’art et d’essai étonnamment bien accueilli par le grand public, sur une jeune américaine naïve qui, abandonnée à elle-même dans un luxueux hôtel de Tokyo tandis que son mari photographe de mode est en mission, découvre les arcanes aigres-doux de l’âge adulte – notamment à travers un flirt décisif avec un acteur de cinéma désabusé et assez vieux pour être son père (tous deux n’en sont que trop conscients). Le fait que ce soit également une description plutôt juste de la dernière livraison de Sofia Coppola, Marie-Antoinette, un biopic très libre, inspiré de la biographie bienveillante qu’a dressée en 2001 Antonia Fraser de la dernière reine de l’Ancien régime promise à un destin tragique, nous éclaire autant sur la réalisatrice et ses sujets de prédilection, que sur les nombreux côtés attachants et points faibles de ce nouveau film…